Ba Ngoai était fâchée (2025)

Par Jade Courtemanche

Enregistrement audio, chapeau conique du Vietnam, peinture pour tissu, fil de laine rouge, papier, 2025.

Je suis Mère, Thien Huong, mais outre-mer on m’appelle simplement

Thien - Paradis 

C’est que je me suis créée havre de paix pour toi - pour eux - pour lui 

à défaut d’en avoir un pour moi ! 

La “Mère”, comique que ce mot de quatre lettres a la même sonorité que l’élément le plus vaste sur Terre 

Il n’est que trop petit pour écrire tous les silences que je tiens sur mon littoral

Je suis celle qui cherche la chaleur de la plage saigonaise et fuit l’Hiver 

Au coût de me geler ici pour toujours 

Avec toi – avec eux – avec lui 

Tu vois je suis celle qui n’a jamais vraiment eu le choix 

Pour eux, je suis celle qui suit le courant familial vers Montréal malgré sa foi – je suis celle qui, à 20 ans, avait une vie encore toute    propre    pure    limpide  

Pour lui, je me nomme Prisonnière, Oiseau en cage, Celle qui chante les louanges des autres et ricane : oh !, haut et fort! 

Presque 30 ans de servitude clownesque car donner un semblant d’amour n’a jamais fait de mal à personne 

C’est qu’en cage, l’Oiseau et l’Hiver ne se connaissent pas 

Du moins j’ai cru je crois 

 

Ils se sont appropriés ma page vierge pour réécrire ma vie à leur façon – je suis Celle qu’on a interdit de rêver   de créer   d’être     

ainsi je me permets maintenant de rêvasser en plein jour :

Mon rêve   ma réflexion   ma vie   ma fille – rêves pour moi 

Seras-tu celle qui saura m’aimer en retour? 

  

 Je suis la fille, Jade, flambante et perdue 

Cette question que tu me poses me prend au dépourvu 

Comment celle que l’on nomme Jade - L'Insoumise serait-elle aimante?  

Je fais partie de toi comme je fais partie de mon père 

                                                           un oiseau de l’Hiver est un oiseau qui ne reste pas 

Je suis arrivée au monde le poing dans les airs 

Pour que je mette le feu – la chaleur à notre malheur 

 

Tu ne t’es jamais rendu compte que l’Hiver est le même partout? 

Que dans cette saison, la solitude et l’amour sont un tout? 

J’ai coupé trop tôt le cordon ombilical comme tu l’as fait de mes racines – ta haine envers toi-même 

Je suis l’arbre dont les racines se nourrissent de l’arbre lui-même 

Je suis une île en eau internationale – un vol sans escale 

Tu m’as créée ainsi :

Métissée-sans-ancrage... et quelle rage! 

 

Quelle rage que tu m’aies imposé la renaissance que tu voulais tant : 

À même mon nom négligé – Trinh, tu t’es approprié ma page vierge pour réécrire ta vie à ta façon 

Comme quoi on devient ce que l’on se fait subir  

                                                                                            Tu n’as jamais appris ta leçon 

 

C’est avec moi que notre malheur se termine 

J’entamerai un voyage – un pas que tu n’as jamais osé entreprendre 

Je te prouverai que ton pays natal est à reprendre 

En remontant le temps, j’irai enfin à ton humble rencontre... 

Je suis fille, Thien Huong, mais il se trouve que sur la terre maternelle on m'appelait simplement  

Huong – Parfum 

Ou odeur 

Odeur de jeunesse dans un environnement moisi 

Odeur de la peur croulant sous mes sourds cris 

La rue Ham Nghi a perdu ses couleurs  

Ainsi c’est à moi d’y peindre mes valeurs 

 

Je me suis lancé un soir qui sentait la liberté  

Envolée en moto - j’ai secrètement emprunté à mon ainé     

 

 Mon pays était à moi, mon âme était à lui 

Vivre après les pertes des vies serait-il un péché? 

C’est à ce moment que le trottoir a arrêté l’engin et mes rêveries 

Je suis revenue bredouille à la maison : “ba ngoai était fâchée”...  

Tu vois,”mes souvenirs du Viêtnam, ce n’est pas Grand-Chose”

Là-bas

C’est plutôt Crier la solitude morose   Surpasser la hantise   Folie commune  

Je passais mes nuits 

À me fâcher de n’avoir personne

Je passais mes jours

À me rappeler de ne faire confiance à personne.                                                                                                            

Je me présente maintenant                                          

                                            Jade Doàn Trinh 

 

ENTIÈRE 

 

Ma rencontre avec toi m’a permis de me rencontrer moi-même 

Après ce grand voyage des climats de violences et de l’océan culturel qui me sépare de toi – maman 

Je te réponds aujourd’hui d’un cœur plus serein 

Vaillante maman 

Comme je t’aime enfin! 

 

Cette oeuvre est présentée dans le cadre de l’exposition de vitrine d’été Ce qui nous traverse : Atelier d’histoire familiale, 2e édition, en collaboration avec Super Boat People. articule est un centre d'artistes accessible dédié à l'engagement social, à l'expérimentation et à l'interdisciplinarité. Pour en apprendre davantage, visitez notre site Web à articule.org.

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